par vinvin88 » 09 Août 2011, 23:34
Voici un article de Chantal Delsol, paru dans le Figaro récemment. Il est très bien écrit!
"Chantal DELSOL
Membre de l'Institut
2 août 2011
Le Puy du Fou ne fait pas de bruit.
Du moins au regard de ce qu’il représente. Qui s’y rend de bonne foi et observe avec objectivité, ne peut qu’en rester admiratif. Entre dix mille et quarante mille visiteurs par jour, selon qu’il s’agit de jours de semaine ou de dimanches ou fêtes, en tout un million cinq cent mille entrées par an. Haute technicité pour des spectacles permanents, haute sécurité pour trois cent hectares de site. Cent salariés en CDI, neuf cent salariés en CDD pendant la saison – les bénévoles se consacrent à la cinéscènie. Une école de fauconnerie, une école d’équitation, une école de dompteurs de fauves, et j’en passe. Des villages d’époques reconstitués, avec leurs artisans, leurs potagers et leurs boutiques. Des spectacles d’une sophistication impressionnante, qui tournent toute la journée, et des spectacles nocturnes. Le Puy du Fou est une entreprise privée, qui ne coûte rien à personne, et qui produit même chaque année un fort bénéfice grâce auquel il innove sans cesse. Les familles et aussi les adultes sans enfants y vont comme on va à Disneyland : c’est un loisir. Pourtant, quelle différence.
C’est cette différence qui fait que l’entreprise est généralement si peu décrite, si méconnue, et quand elle l’est, si critiquée. Le Puy du Fou suscite chez nos élites une certaine animosité. Le ministre de la culture Jack Lang n’y avait pas mis les pieds. On raconte là-dessus une foule de sottises, selon lesquelles par exemple le site ne fonctionnerait que grâce à des bénévoles. Les Deschiens, famille imaginaire symbole de l’imbécilité populaire et vilipendée par les bobos, sont décrits évidemment comme des amateurs du Puy du Fou. Est-ce parce que le spectacle est né dans un milieu vendéen, donc catholique et français, ce que nos élites détestent ? Il me semble que c’est surtout l’amour de l’histoire qui les dérange. Ici tout, décors et spectacles, privilégie la culture et l’histoire. L’inverse en somme de Disneyland, nourri d’un imaginaire contemporain américain ou au mieux, cosmopolite. Dans le restaurant principal, la restitution du camp du drap d’or distribue les convives en partisans français et partisans anglais. Dans les spectacles, on voit des bateaux vikings ou encore le sénat romain, un château au moyen-âge, des mousquetaires s’apostrophant en vers. Disons que le Puy du Fou fait vibrer les spectateurs pour et contre, pour les Gaulois contre les Romains, pour les Français contre les Vikings etc. Cela est insupportable aux germanopratins post-modernes, qui ont biffé dans leur tête l’histoire avec les conflits qu’elle engendre. Cela leur apparaît comme une bouffonnerie ringarde, et comme une manière de contre-culture.
Mais une donnée plus importante encore est le type de public qui se presse au Puy du Fou. Familles ou groupes d’adultes, il s’agit d’un milieu très populaire, et tout à fait civilisé s’il n’est pas cultivé. Le soir venu, sur les hectares du site où sont passés des milliers de gens, on ne trouve pratiquement pas de papiers sales. On marche au milieu d’une foule calme qui dans les fast-food, rapporte ses plateaux-repas, et qui se garde bien de voler les légumes des potagers historiques, pourtant offerts à sa convoitise. Que faut-il en déduire ? Le Puy du Fou attire un public qui lui ressemble : sensible aux valeurs traditionnelles, à l’éducation et à la "décence commune", pour reprendre l’expression orwelienne.
Où l’on voit que l’argument des chaines de télévision à propos des sottises programmées : "que voulez-vous c’est une heure de grande écoute", est lui-même une sottise, et plus grave encore, l’expression du mépris. C’est une heure de grande écoute : tous ces imbéciles qui regardent ne peuvent supporter que des imbécilités… Les foules populaires peuvent en réalité, et beaucoup plus que ne le croient les élites, apprécier des spectacles culturels et historiques. Il est impressionnant de voir plusieurs centaines de personnes, clairement non diplômées de l’ENA, applaudir en voyant Saint Philibert sortir de l’eau pour sauver un village, ou les mousquetaires s’invectiver en alexandrins d’un balcon à un péristyle. Les élites prétentieuses font mine de croire que les milieux populaires n’aiment que les loisirs grossiers, ou les vulgarités des reality-show. Elles marquent ainsi leur dédain et leur volonté de conserver la culture pour elles-mêmes – c’est à dire de pouvoir elles-mêmes la trier. La culture historique est accessible à tous, voilà ce que démontre le Puy du Fou. Qu’un site de loisirs soit capable d’élever le public au lieu de l’abêtir, c’est un scoop. Cela devrait faire réfléchir nos responsables. On les voit au contraire s’enfuir parce qu’il y a là des chevaliers, des chrétiens persécutés, des croisés, et des pères de famille. C’est qu’ils ne souhaitent pas voir se développer la culture, mais leur culture.
La poésie du Puy du Fou est simple et lyrique. On y trouve des histoires poétiques, romantiques, édifiantes, bref des choses sans prétention, mais belles et émouvantes. Le choix des distractions est signifiant comme tout le reste. On ferait bien de s’intéresser aussi à ces centaines de milliers de familles et de groupes de citoyens qui, plutôt que d’aller applaudir des sorcières à balai dans des lieux débraillés, préfèrent les personnages de notre histoire évoluant au sein de décors élégants."