par Invité » 03 Juin 2010, 21:18
C'est intéressant, et ça rejoint un peu ce qu'a dit Mat' ! Des tours d'angles et des douves ?? Je me demande bien à quoi ça pouvait ressembler, je me demande s'il existe une gravure datant de cette époque !!
Et comme tu parles de description, ça me fait penser que j’ai oublié de vous livrer un autre passage intéressant de la lettre de Charles, quand il décrit sa visite du château. Ca nous donne une bonne idée de l'apparence du château au début du 19ème :
MM. L. *** père et fils, après nous avoir fait rafraîchir, firent allumer des flambeaux et nous conduisirent aux ruines, situées au fond de la vaste cour. Jugez notre surprise, Angéline : […] en approchant des ruines je reconnus l’architecture élégante et facile de la renaissance des lettres : pas le moindre vestige d’antiquité ; la façade même n’a jamais été achevée : il lui manque une aile au midi.
La principale porte d’entrée est au fond d’un péristyle quadrangulaire, formé par des colonnes cannelées, d’ordre ionique. Au-dessus du fronton règne une balustrade qui entoure une terrasse autrefois couverte d’orangers, et où maintenant les enfants du métayer cultivent quelques légumes. A l’aile gauche se trouve un autre portique que devancent quatre colonnes semblables à celles du péristyle ; la terrasse qu’elles supportent est en ruine : toutes ces colonnes sont unies par des ceintres pleins, et les pilastres qui ornent la façade du corps de logis sont décorés de niches où jadis étaient placés des bustes et des statues.
Toutes les voûtes sont sculptées en rosaces, et celle de l’escalier, qui conduit aux cuisines demi-souterraines, est encore si bien conservée, qu’on dirait qu’elle vient de sortir de dessous le ciseau de l’artiste. Tout est ici en pierre de granite, et néanmoins copié fidèlement sur les palais de Rome et de Florence. Ces fûts, ces entablements, ces chapiteaux, ces colonnes et ces plafonds qui semblent n’attendre que la première secousse pour s’écrouler, peuvent encore aujourd’hui servir de modèle aux fils de l’Architecture et des Beaux-Arts.
Nous trouvons cependant l’escalier principal en forme tournante, genre de construction qui rappelle l’âge du beau gothique […]
Ensuite, Charles décrit les pièces tout juste dévastées par les colonnes infernales !
En entrant dans les salles dévastées, on reconnaît, avec un sentiment pénible, qu’elles venaient d’être décorées dans le goût le plus moderne, lorsque les bûchers de 1793 y ont été allumés.
Le passage qui suit est un peu bizarre car Charles décrit le lieu où se trouvent aujourd’hui l’air scénique et les tribunes, mais ce qui m’a étonné, c’est que c’est très différent : par exemple il y a apparemment des plans d’eau mais pas un grand étang qui prendrait toute la surface comme maintenant :
Du moins la beauté du paysage que l’on découvre par-dessus la longue terrasse de la façade opposée à celle de la cour, console l’âme de ces récents désastres. Cette terrasse s’élève à vingt pieds au-dessus du sol ; à sa base [donc là où se trouve aujourd’hui l’étang] commencent des prairies qui se déroulent et remontent sur la colline opposée [la fameuse colline aux trois sapins où se trouve aujourd’hui la tribune panoramique] : des groupes d’arbres épars çà et là, par leurs nuances variées, reposent l’œil fatigué de l’immensité qui se déploie au-dessus de cette colline.
Alors attention ùù, le passage qui suit est sublime, et c’est même étonnant qu’un ouvrage pareil ait été oublié comme ça :
En effet, on aperçoit dans le lointain une campagne sans autres bornes que l’horizon ; là, des champs cultivés, ici des bois, des rocs, des eaux : les uns s’enfoncent dans des vallées profondes, les autres paraissent groupés sur les cimes arrondies des montagnes ; les lacs réfléchissent les feux du soleil ; le tout se perd dans un horizon bleuâtre et vaporeux.
Le vent courbe par intervalle les cimes des arbres, roule en longues ondulations sur les blés en épis ; et tandis que les troupeaux de bœufs aux larges cornes, les cavales hennissantes, et les chèvres aux soies traînantes paissent épars dans tous ces prés, le sourd murmure des bois, les mugissements des troupeaux, et les nuages d’or, d’albâtre et d’azur qui passent majestueusement sur cette belle scène, appellent les crayons du Poussin et de Berghem.
Nous retournâmes à la façade de la cour […]. [On] se croirait au milieu des débris des palais de Palestrine ou des Appennins : à l’aspect de ces giroflées sauvages qui s’échappent de toutes les fentes de la maçonne, qui ombragent les vieilles armoiries sculptées sur les frontons, et se mêlent aux feuilles d’acanthe des chapiteaux, l’illusion serait complète ; et la sensible Angéline, croyant retrouver l’Italie, le cœur ému, les yeux humides des larmes du bonheur, saluerait en s’éveillant le beau ciel de la patrie !
Franchement… ce texte est superbe, ya pas à dire !
Bon, j'ai mal aux doigts ùù